- Par Julien Leroux
Toujours dans une démarche de recherche plastique exploratoire, l'artiste choisit ici de convoquer le hasard pour dicter les principes directeurs dans son processus créatif.
Lorsqu’elle commence à peindre, c’est l’hiver au Canada, son premier hiver à Montréal. Fortement marquée par la transformation du paysage, elle se fascine par cet élément omniprésent : la neige, et s’en fait un allié dans l’expérimentation plastique. Elle va ainsi disposer sur sa toile successivement pendant des semaines des amas de neige teintés d’acrylique. Le temps de fonte permet à des textures colorées de s’accumuler. La neige fondue crée une détrempe permanente où les teintes se mêlent avant de se fixer au séchage sur la toile.
Un autre élément accompagne la neige à Montréal : le sel, pour déglacer les routes. Alors qu’elle laisse la neige, élément naturel incontrôlable, produire des traces et des taches aléatoires, l’artiste utilise le sel comme moyen de contrôle de l’écoulement. Cet élément est donc pensé comme un outil de l’homme ou de l’artiste pour tenter de garder la maîtrise sur les débordements d’une nature indomptable.
Au fil de la fonte, des rajouts de neige, des barrages de sel, le tableau apparaît peu à peu par strates, textures et glacis superposés. Il est donc issu de la marche du temps : chaque couche transparente s’ajoute aux antérieures, de même que l’environnement est marqué au cours de l’hiver par les successions d’épisodes de neige, de gel, de dégel ou de pluie.
La jeune femme prend peu à peu ses marques dans cet hiver québécois nouveau pour elle, elle s’adapte et vit avec les éléments. De la même manière, sur cette toile son geste d’artiste vient peu à peu épouser les formes créées par la neige fondue et le sel. Elle renforce certains contours, accentue des contrastes et ancre dans cette nébuleuse de mauves et bleus des zones mates, unies, d’une couleur chaude opposée.
Le résultat est celui d’une collaboration entre le contrôle et l’aléatoire, le hasard et le méticuleux. Dans la progression de la démarche de l’artiste, c’est une étape vers la reconnaissance d’une profondeur et d’une vérité s’abreuvant autant des aléas du temps et de l’imprévisible que de l’exploitation consciente de leurs manifestations. En d’autres termes, un pas de plus vers la confiance en la capacité de l’art à se manifester à travers soi, et vers un détachement d’avec le besoin de contrôler chaque étape de la création ainsi que de celui de connaître à l’avance la forme finale qui en sera issue. «Nébuleuse» est un titre qui évoque ainsi les manifestations de l’incontrôlé, ainsi qu’une densité en trois dimensions, éthérée, diaphane mais riche de présence.
Comentarios