Il arrive que parfois nous prenions le même chemin exactement qu'un.e inconnu.e qui nous suit ou nous précède. De cette marche en parallèle peut naître une relation tacite, la conscience de quelqu'un qui vous tient compagnie. Alors pointe la légère gêne d'être ensemble sans l'être.
Ce n'est pas systématique, parfois la présence d'un autre n'est pas flagrante ou l'on n'y prend pas garde ; on se suit sans le savoir. Et moi, je l'avoue, j'aime suivre les gens.
Elle, elle connaît le chemin
En sortant du métro, je suis dépassée par une fille qui semble plus sûre de sa route que moi. Je vérifie mon trajet et lui emboîte le pas, car il semble que nous allions au même endroit. Je la suis donc, sans le vouloir, sans le chercher, à quelques pas derrière. Je pourrais ne pas y prêter attention, mais le fait qu'elle prenne exactement le même chemin que moi la fait entrer nécessairement dans mon champ de vision, et je me prends à la regarder vraiment. (Et j'aime suivre les gens).
C'est une fille d'un âge incertain, sûrement jeune, à son allure, ses vêtements, ses cheveux. Elle est petite (ma taille à peu près) et je me prends à penser sans aucune logique qu'elle n'a pas vraiment la taille d'une femme d'âge mûr. Pourtant, j'en ai croisé, des petites femmes du 3e âge ; c'est même la norme ici, le ratatinage de la sénilité. Mais de dos, je la crois jeune. Puisque je n'ai rien d'autre à faire, en marchant je la détaille, je l'observe. Il faut dire que mon attention est aisément captée par sa chevelure blonde, épaisse, légèrement ondulée jusqu'en haut de son dos, qui tressaute légèrement au rythme de ses pas. Ces cheveux ne sont pas particulièrement brillants mais ils sont denses, et de cette teinte chaude aux nombreuses nuances d'une rare blondeur naturelle. C'est un blond remarquable ; plutôt foncé, mais indubitablement doré. Pas une once de châtain, même clair. Blond comme les blés. Jamais ces cheveux n'ont dû être teints, ni manipulés par un quelconque balayage.
Je les contemple presque avec gratitude. Je suis reconnaissante envers cette jeune femme de n'avoir jamais, jamais (probablement) rien changé de cette couleur incroyable d'un vrai blond doré foncé. Je pense tout en marchant, "des cheveux de hippy". On voit sur les images d'archives ces filles aux longs cheveux semblables, épais, leur tombant sur la figure, ornés de couronnes de fleurs. De là surgit l'image d'une Vénus à la Boticcelli, ou de ses nymphes dansantes du Printemps. Je ne vois pas son visage, je ne l'ai jamais vu. C'est très intrigant, suivre quelqu'un et ne le.a voir que de dos. Cela laisse d'abord le champ libre à l'imagination, bien que faute de figure humaine le reste du corps suffise à incarner une personnalité. Ensuite, pas de contact visuel, pas de reconnaissance ; l'autre devient un objet qu'il est facile et plaisant de contempler sans gêne, sans avoir à se reconnaître soi-même dans son regard humain. J'aime aussi ce suspense, ce léger mystère qui tient dans l'ignorance et maintient la distance.
Inconnue camarade
Tout ce temps nous marchons toujours, elle et moi, d'un pas vif, au même rythme. Quel genre de fille est-elle, cette personne aux cheveux libres ? Elle porte un jean que je devine bien coupé, droit, dépassant de sous son imperméable gris, tout simple. Ses chaussures sont des bottines plates couleur camel, elle a un sac sous le bras. Tout à fait simple, urbain, bien choisi. Je ne la connais pas, mais elle m'est sympathique, j'ai l'impression en la scrutant de la rencontrer presque. Je ne vois toujours pas son visage et ne le verrai pas, car elle tourne soudain alors que je poursuis tout droit.
Je suis un peu frustrée de ne pas trop savoir à quoi ressemble en face la porteuse de cette blondeur épaisse, mais en un sens c'est presque mieux de la garder "anonyme". De dos, je la trouvais déjà très belle, très authentique et simple. Ce qui me fait aimer les gens, sont les petits détails dont ils n'ont pas forcément conscience mais qui les rendent uniques. Ma camarade involontaire de promenade m'a fait le cadeau d'avoir piqué ma curiosité, de m'avoir fait penser aux hippies, à Boticcelli, et déjà sans m'en rendre compte, me voilà arrivée.
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