Par Julien Leroux
Neuf carrés de toile cousus ensemble composent ce tableau tout en douceur, pour créer un paysage composite multipliant les points de vue. Si l’on s’y attarde, chaque carré a sa propre dynamique et son organisation. Le regard voyage le long de verticales, d’obliques, dans des remous et des textures variées, s’accroche sur une touche de couleur ou une autre, identifiant sans peine les espaces ainsi juxtaposés. Pourtant le tableau est un tout, et ses parties communiquent, s’interconnectent par touches mêlées. On retrouve une unité chromatique et de traitement qui aide encore à lier entre eux ces carrés d’hivers.
Cécile Luherne commence à penser ce tableau depuis l’avion la ramenant à Montréal après les fêtes, en janvier 2018. Les champs enneigés vus depuis le hublot, mouchetés, striés de neige et de terre sombre, forment des parcelles éparpillées à perte de vue, tel un quadrillage abstrait aux teintes subtiles. Elle pense alors produire une œuvre reprenant l’idée d’une accumulation géométrique de points de vue, dans les mêmes couleurs pâles.
Elle n’a dans ses réserves que quelques chutes de toile ; mais elle a en tête un grand tableau. L’idée de créer une œuvre composite s’articule alors parfaitement avec l’image d’un paysage quadrillé, aux points de vue et aux perspectives déconstruits.
La travail en premier lieu de chaque carré indépendamment des autres fait partie de cette envie d’une toile recomposée. Après vint l’assemblage, et l’harmonisation des parties, pour une œuvre combinée mais cohérente dans son ensemble. Le résultat distille la mélancolie, la rêverie, une sorte de vague-à-l'âme poétique et sublime. L’hiver vécu au Québec est encore une expérience nouvelle, contemplative. Le monde de l’artiste devient pendant plusieurs mois cet univers où dominent le blanc, le noir des arbres nus par contraste, et toutes les nuances de gris et de bleus des cieux changeants, toujours dans un climat frileux où le corps se protège, et où le coeur s’emmitoufle aussi en dedans.
Les épisodes de neige, de verglas, de blizzard se succèdent. On ne vit pas un seul hiver, à Montréal ; chaque jour est un nouvel hiver qui s’ajoute pour former le patchwork d’un long engourdissement. Sur cette toile, les états d’âme variables, les moments de lumière, de repli, de joie aussi se devinent et s’entremêlent.
Dans ce grand tableau que l’artiste affectionne, se tisse avec pudeur un kaléidoscope de sensations et d’affects que la longue saison blanche infuse dans les esprits. Mais en fait d’hibernation et de langueur, on trouve dans cette image l’émerveillement paisible pour la beauté des éléments.
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